LE CORBEAU

Le lac est un vaste puits
Une tache d’huile
Figée

Le miroir semble terni
Du gris indélébile
Des nues basses gorgées
De pluie et de silence

La surface pâle et froide
Renvoie le cri roide
Et dense
D’un corbeau famélique

Il pleure
L’implacable rigueur
De sa solitude atavique

Nul ne sait sa douleur
Car l’oiseau de malheur
Dans son lent vol angoissé

A croassé
Son chant de turpitude
Dans l’immense hébétude

Du lac sombre et cru
Dont le calme accru
Par cet appel rauque

Rend encore plus désertique
Le plan d’eau mutique
Et sa paix aqueuse et glauque

À JACQUES
GEORGES ET LÉO

Cher Jacques !
Que j’eusse voulu écrire
Et dire
Que la nuit sera longue
À devenir demain
Etre en somme
Jojo – Fernand – Emile – enfin
Dieu que la liste est longue !
Et chanter
Mon pays – les désespérés – la triste destinée
Des hommes !

Cher Georges !
Que j’eusse voulu écrire
Et dire
Que chez la belle Suzon
Pas d’argent – pas de cuisses
Etre en somme
De la ronde des jurons
Que ta chaude voix esquisse
Et chanter
Aragon – ta supplique – les trompettes de la renommée
Des hommes !

Cher Léo !
Que j’eusse voulu écrire
Et dire
Que cette blessure fait de sang
La blancheur des berceaux
Etre en somme
Cet anarchiste à fleur de peau
Qui dit merde à Vauban
Et chanter
L’oppression – la chanson du mal-aimé – la mélancolie
Des hommes !